Voir la fin des terres, et revenir
Chroniques d'un voyage inutile, philosophie de comptoir et égocentrisme au pays des celtes
19 avril, le voyage inutile
Les derniers promeneurs viennent de quitter la plage. Mis à part un bateau à peine perceptible sur l'horizon, je suis tout à fait seul. J'éviterais d'emblée les clichés tel que "murmure du vent", "bruit des vagues qui déroulent sur le sable" ou encore "couché de soleil sur l'océan". Qu'est-ce que je fous sur cette plage déserte dans ce cas ? C'est une bonne question...A vrai dire je n'en sais rien ! De voyageur immobile à promeneur sans but, il n'y avait qu'un pas, que je viens de franchir... Au début je voulais passer deux jours sur Belle-Ile, ramener de belles photos mais le surnombre de touristes m'a fait fuir l'embarcadère...
-Port Haliguen-
-Kerzerho-
Je ne voulais cependant pas abandonner cette escapade et rentrer comme si de rien n'était. Pourtant l'idée même de ce voyage ne pouvait cohabiter avec toutes ces gentilles familles en vacance.
"Vacances", j'avais oublié ce placebo de liberté qu'on nous donne à dose homéopathique. Si je fais cette escapade pour me rendre compte que je ne suis plus en phase avec mon époque, alors c'est gagné: je suis au courant maintenant.
(Le soleil entamme la dernière phase de sa descente et les couleurs commencent à changer...le bateau a disparu)
-Barre d'Etel-
Avril, ça fait 7 mois maintenant...Je ne crois pas que cette envie de voyage improvisée vienne de là: je ne suis ni attiré par la numérologie, ni par les actes symboliques.
(Dans sa chute, le soleil vient de croiser un épai nuage, tout devient plus sombre... j'ai froid.)
C'est une bonne question ça aussi: que reste il de mon égo et de mon âme après ces 7 mois ? En surface j'ai l'impression d'avoir plutôt bien recollé les morceaux, certains me semblent même s'être mieux replacés... D'autres ont disparus, comme le désir, mais je garde une certaine croyance dans le fait qu'on est mieux à deux que seul... Pour ce qui de l'image que j'ai de moi, de l'assurance, c'est autre chose (sachant que je n'ai jamais eu vraiment confiance en moi..) Sans doute faudra il beaucoup plus de temps.
(La chute semble étrangement ralentie par le nuage, il fait vraiment froid...)
Je suis Libre, c'est enviable finalement, c'est sans doute même ce que je désire le plus, mais cette liberté a un gout amer quand elle apparait dans la solitude. Dans un mois j'aurais 27 ans... Ces 7 dernières années depuis mes 20 ans fêtés sur une plage de Guadeloupe me semblent confusent et surtout sont passées à une vitesse folle... Construction lente et déconstruction rapide, tout ce que j'aime, enfin en musique surtout ! Je dois rentrer dans l'âge adulte à reculons, contraint et forcé: si devenir adulte c'est perdre la faculté de s'emerveiller pour la remplacer par l'ennuie, l'envie ou l'hypocrisie, à quoi bon ?
Je repense à ces après midi passées devant la télé étant gosse, alors qu'il faisait beau dehors, à ces filles auxquelles je n'ai jamais eu le courage de parler, à celle qui m'a rejetté... Tout ça m'attriste forcemment, à force d'être égoiste on gache non seulement la vie des autres, celle de nos enfants, mais surtout la notre.
"Il faut bien vivre", "Occupes toi de toi avant de penser au futur de l'humanité" et l'irréfutable "De toute façon c'est comme ça, c'est pas nous qui allons changer ça..." Voilà les arguments qu'on m'oppose volontiers quand je pars dans de telles considérations...
(Avec tout ça, le soleil est passé directement au fond de l'océan... il est temps de regagner ma demeure roulante.)
L'affect est il un moyen détourné pour ne pas s'apesentir sur sa propre existence et éviter ainsi de prendre des décisions importantes ? En tout cas, si j'en parle beaucoup, je n'agis pas en conséquence et suis bien incapable de formuler des idées concrètes pour lutter contre la décrépitude de notre modèle social...Je suis sans doute même bien plus égocentrique que la plupart des gens, puisque je me base avant tout sur mes sensations.
La pensée qui me rassure avant de m'endormir, est que je ne sais pas ou j'atterirais demain...
20 avril, voir la fin des terres.
Réveillé par le jour à 7h00 (penser à prévoir des rideaux pour la prochaine fois) Je reprend la route directement, en suivant la côte vers l'ouest...
8h00 Port Saint Louis, la citadelle attire mon attention, mais je n'ai pas la patience d'attendre 10 heures que ça ouvre. J'atteris finalement au cimetière de bateaux de Lannester endroit lugubre et agréable à la fois...Je rejoint ensuite Lorient, ou je passe une bonne partie de la journée. Ce n'est pas que je trouve la ville particulièrement belle, au contraire mais l'ambiance me plait... Ballade sur le port de plaisance puis de commerce, une heure dans une librairie, la ville est à taille humaine ni trop grande ni trop petite...Il faudra que j'y retourne...Quimper me fait pile l'effet inverse: la ville est superbe, mais blindée de touristes et donnant une impression globalement prétentieuse... Je m'en échappe vite.
-Lorient-
Il est déja tard quand je quitte Quimper, un peu déçu... Je sais maintenant quel est la destination de ce voyage: aller à la pointe du Raz, voir la fin des terres qui m'avait marquée il y a 20 ans, la première fois que mes parents m'y avait emmené... J'arrive là bas à 20H, il pleut... je marche vite pour atteindre la pointe avant la nuit. Ce lieu est vraiment particulier, d'une beauté assez incroyable, le vent rend la pluie cinglante mais ça n'a pas vraiment d'importance: être seul au bout du monde, voilà une situation qui me plait beaucoup et qui efface froid et pluie... Le site semble bien géré et aménagé avec décence... Les constructions sont relativement éloignées de la pointe, ce qui donne un paysage brut et magnifique...
Peut on aller voir la fin des terres et revenir comme si de rien n'était ?
-Pointe du Raz-
Après une nuit agitée (vent et pluie), je me dit qu'il est difficile de quitter cet endroit...
21 avril, revenir...
Je passe 4 heures à contempler les vagues... Le coté totalement improvisé du voyage montre cependant ses limites: carte photo pleine, envie de prendre une douche, il serait bon de rentrer. Il reste cependant un endroit que je veux revoir: la pointe de la torche, lieu mythique du windsurf... Ca tombe bien ç'est dans la bonne direction (de toute façon à ce stade du voyage je ne peux que rebrousser chemin...)
J'emprunte les chemins de traverse le long de la baie d'Audierne: Je reviendrais, c'est une région superbe !
Arrivé à la Torche je suis un peu déçu: beaucoup moins sauvage que dans mon souvenir, la pointe est envahie par les surfeurs parisiens... Je reste peu de temps.
-Pointe de la Torche-
Le voyage inutile à pris fin... j'espère que ces fragments de route vous plairont autant que j'ai eu de plaisir à faire cette escapade improvisée... J'en suis revenu avec l'enive d'avancer en tout cas, l'envie de revoir des potes égarés et de bouger avant tout. Le mois prochain j'aurais 27ans, et je trouve que le temps passe trop vite... Je voudrais en profiter à chaque instant... même si ça veut dire ne pas grandir et passer pour un ado attardé. Rever sa vie est peut-être une façon de la rater, mais sans rêves elle est trop triste et sans saveur. J'ai choisi mon camp....